Échange avec Béatrice Coullaré

17 novembre 2022

Regard sur les médailles de la Société des amis de la médaille française

Les collections historiques de la Monnaie de Paris conservent un des fonds les plus emblématiques de médailles décoratives en lien avec le thème de la Belle Époque. Cette saison, ce sont 114 médailles qui été exposées à la Villa du Temps retrouvé.

À cette occasion, nous avons eu la chance de poser nos questions à Béatrice Coullaré, Responsable des collections de la conservation du musée de la Monnaie de Paris, afin d'en apprendre plus sur cette collection.

Qu’est-ce que la Société des amis de la médaille française ?

La médaille connait un regain d’intérêt au XIXe siècle. En effet, son statut évolue au cours des années 1880 : de support commémoratif d’un événement ou d’un anniversaire, la médaille devient un véritable objet d’art très apprécié.

Roger Marx (1854-1913), critique d’art et homme de lettres, fonde la Société des amis de la médaille française (SAMF) le 28 février 1899. Cette association qui regroupe des amateurs et des collectionneurs a pour but de promouvoir l’art de la médaille.

Les membres du bureau ne sont pas choisis au hasard : Jules Clarétie, romancier, critique dramatique et historien, Henri Marcel et Olivier Sainsère, conseillers d’État et collectionneurs, Alfred de Foville, directeur des Monnaies et Médailles à Paris de 1893 à 1900, Daniel Dupuis, peintre, sculpteur et médailleur.

Pour devenir membre, il suffit de formuler une demande écrite à la Société et de verser une somme de cotisation annuelle. Fixée à 100 francs par an, elle est relativement élevée et elle a sans doute dissuadé des amateurs, mais c’est cette cotisation qui permet de payer les artistes, de leur passer commande et d’envoyer les exemplaires des médailles aux souscripteurs parmi les adhérents.

La médaille telle qu’elle est conçue par Roger Marx permet également de rendre hommages aux artistes primés dans les Salons en reproduisant les œuvres saluées par la critique, leur donnant de faite une visibilité accrue par la diffusion des médailles et les rendant ainsi plus accessibles financièrement aux souscripteurs de la Société qui n’ont pas nécessairement les moyens d’acquérir un bronze.

Ainsi, Roger Marx crée une société qui permet non seulement de promouvoir l’art de la médaille et de la plaquette, mais également d’apporter un soutien aux artistes.

Qui sont les artistes sollicités dans le cadre des éditions de médailles de la SAMF ?

Par ses activités de critique d’art, Roger Marx est très ancré dans le monde de l’art et côtoie des artistes qui exposent, entre autre, au sein de la Société des artistes français et du Salon de la Société nationale des Beaux-Arts. Cette connaissance du milieu artistique lui permet de solliciter des artistes déjà reconnus qui attirent les adhérents et apportent une véritable légitimation à la production de la SAMF.

Parmi ces artistes, on compte Louis-Oscar Roty (1846-1911), créateur de la Semeuse ou Emmanuel Frémiet (1824-1910), auteur du monument équestre à Jeanne d’Arc et de l’Archange Saint Michel terrassant le dragon qui surplombe l’abbatiale du Mont-Saint-Michel.

Cette garantie apportée par les noms les plus connus permet à Roger Marx de mettre en avant de jeunes artistes encore inconnus et de faire ainsi de la SAMF un tremplin artistique. Certains sont également recommandés par leurs pairs, comme Victor Peter, praticien d’Auguste Rodin qui pratique par ailleurs la médaille, recommandé par le sculpteur auprès de Roger Marx qui avait tenté de le convaincre, sans succès, de réaliser une médaille pour la SAMF. De fait, la SAMF devient également un lieu d’échange et de transmission entre les générations d’artistes où se rencontrent ceux dont la carrière suit le cursus académique et les autodidactes au parcours plus personnel.

L’iconographie de cette collection de médailles est riche, plusieurs grandes thématiques sont présentes. Que nous racontent-elles sur la Belle Époque ?

Roger Marx laisse toute latitude aux artistes dans le choix des thématiques et des sujets ainsi que dans le format, médaille ou plaquette, qu’ils réalisent pour la SAMF.

Les thématiques transversales retenues par les artistes sont très diverses mais proches des sources d’inspiration et des préoccupations artistiques et sociales de la période :

  • La mythologie reste une source d’inspiration forte pour les artistes de la Belle Époque et un terrain connu des souscripteurs qui ont reçu une culture classique. Elle est illustrée littéralement par la reprise des figures et des mythes comme celles de Ferdinand Levillain (1837-1905) qui choisit Junon et Psyché pour chacune des faces de la médaille réalisée en 1899, revisitée par des artiste tel Henry-César Cros (1840-1907) avec ses Faune et Faunesse très poétiques en 1908, ou idéalisée à la manière de Gustave Moreau dont l’art pictural symboliste marque ses contemporains tel René Grégoire (1871-1943) qui s’inspire de ses figures féminines altières pour ses Hélène et Eros en 1909. En parallèle de ce goût pour l’Antique, on trouve également parmi les propositions des artistes un regard porté sur l’histoire et une certaine recherche du passé qui s’exprime au travers d’un langage allégorique très usité dans l’art de la médaille, comme Aux poètes sans gloire de Louis-Alexandre Bottée (1852-1941) éditée en 1905.
  • Les arts du spectacle tels que la danse ou la musique de chambre inspirent les artistes qui choisissent pour ces sujets des compositions innovantes. François-Rupert Carabin (1862-1932) représente sur l’une des faces de la Danse, l’un de ses bronzes primés au salon représentant de jeunes danseuses, et Fernand David (1872-1926) propose pour sa plaquette la Musique éditée en 1908 une variation sur la figure du violoniste qu’il réalise en ronde bosse en 1910 (Montblanc, Hérault).
  • La thématique des âges de la vie est traitée par plusieurs artistes dont Ovide Yencesse (1869-1947) en 1901 et Charles-René de Saint-Marceaux (1845-1915) en 1906, de même que celle, récurrente, de l’amour maternel, traité par Henri Noeq (1868-1944) en 1901, Charles Pilet (1869-1960) en 1903, Ovide Yencesse en 1904, Albert Marque (1872-1939), en 1907, auteur d’un modèle de poupée commercialisé en 1916 qui connait un grand succès, et Fernand David en 1910 rappelle le changement de statut de l’enfant au cours de la Belle Époque; siècle qui connait des enjeux démographiques importants.  La femme dans son intimité, et notamment à sa toilette, traverse également la production des artistes, thématiques que l’on retrouve dans d’autres types de production artistiques du temps, du bronze au pastel, et qui engage des réflexions sur le corps de la femme.
  • L’art de vivre et le luxe à la française donnent également aux artistes des sujets sur lesquels s’exprimer. Si la glyptique, la joaillerie, les arts décoratifs ou encore l’art des jardins sont représentés par les artistes tels Georges Dupré (1869-1909), Paul Grandhomme (1851-1944), ou François Roque (1882-1932), c’est également le cas de sujet plus réflexifs sur le passage du temps, la jeunesse et la douceur de vivre traduit par des figures allégoriques ou des personnages du siècle.
  • Le réalisme social et le monde du travail sont également présents dans la réalisation des artistes qui s’appliquent à capturer la vérité des scènes, des attitudes et des gestes liés aux différents savoir-faire et métiers. Les corps sont représentés dans la tension de l’effort, les visages rendent compte de l’application et de l’attention fournit dans le cadre du travail. Le coup de grisou de Henri-Léon Gréber (1854-1941), est une transcription d’une œuvre réalisée par l’artiste et exposée au Salon en 1892, probablement en réponse à la catastrophe qui touche la houillère de La Machine en 1890. La ruralité est représentée par nombre d’artistes, pour certains comme origine géographique et sociale, et permet des expressions plastiques très différentes. Citons la Bretagne de Charles Dufresne (1876-1938), la Moisson de Jean Dampt (1854-1945) ou encore Paysannes du Berry par Emile Nivet (1871-1948), mais aussi les œuvres d’artistes étrangers comme les Paysans croates de Robert Frangès-Mihanovic (1872-1940) de 1909.
  • Le service militaire et les conflits armés s’invitent également dans la production de la SAMF comme faits sociaux de la période et représentent les seuls sujets « violents » parmi des thématiques empruntes de douceur et de sérénité.

Qu’est-ce que la technique de la frappe au balancier ?

Sur le plan technique, les médailles sont réalisées dans les ateliers de la Monnaie de Paris sur la volonté de Roger Marx qui connait la qualité des productions de cette institution.Peu des artistes sollicités sont des graveurs en taille direct et la majorité d’entre eux proposent un modelage de 20, 30 ou 40 cm de diamètre. Un plâtre en creux est tiré de ce modèle dans lequel est coulée une nouvelle empreinte en plâtre en relief. D’un nouveau creux, est créée un tirage qui sert à la réalisation d’une fonte en cloche placée sur le tour à réduire où les matrices de la future médaille sont gravées mécaniquement. Une fois les deux matrices obtenues, elles sont placées par un estampeur dans le balancier de part et d’autre d’une rondelle de métal appelé flan. Le balancier est actionné, ce qui permet à un marteau de venir frapper la paire de matrice et de faire entrer le métal du flan dans leurs creux. Après chaque frappe, le flan est recuit à 700 ou 800 degrés pour rendre sa souplesse au métal et l’opération est répétée jusqu’à obtenir une médaille fidèle au modèle originale de l’artiste. La médaille est ensuite patinée puis vernie.

Pour éviter toute contrefaçon et protéger ainsi à la fois les artistes et les adhérents de la SAMF, Roger Marx fait apposer, dans une démarche qualitative, un poinçon qui garantit la frappe de la médaille à la Monnaie de Paris.

La technique de la gravure mécanique d’après un modèle modelé est plus rapide que la gravure à la main et donne un effet très fondu, avec peu de relief. Cette esthétique dite « impressionniste » au rendu intimiste est caractéristique de l’époque et entraine une révolution dans l’art de la médaille à laquelle Roger Marx participe activement.